Médical

Qu’en est-il de la prévention ?

Lettre ouverte du Dr Martin Juneau, directeur de la prévention à l’Institut de Cardiologie de Montréal, publiée dans La Presse + du 21 février 2016

Le Dr Martin Juneau

On parle beaucoup de prévention et de « saines habitudes de vie » mais très peu a été fait pour vraiment intégrer la prévention aux interventions en santé.

À titre d’exemple, possiblement près d’un tiers des lits d’hôpitaux, sont occupés par des patients qui souffrent d’une maladie reliée au tabac. Le tabac est la principale cause évitable des maladies cardiovasculaires, des maladies respiratoires chroniques et de plusieurs cancers (poumons, cancers ORL, vessie etc.). On estime à au moins un milliard $ par an les coûts directs du tabagisme (soins de santé) et à 3 milliards $ en coûts indirects. Pourtant, les sommes consacrées pour aider les fumeurs à cesser de fumer sont très modestes et dans les hôpitaux, il y a peu de programmes consacrés à traiter le tabagisme. Dans notre institution, le programme de traitement du tabagisme est entièrement financé par notre fondation. Idéalement, tous les hôpitaux du Québec devraient offrir obligatoirement un tel programme financé par le MSSS.

Pour ce qui est de l’exercice et de l’alimentation, le système actuel ne favorise pas la prise en charge des patients par le médecin puisque le temps alloué à chaque patient est très restreint (le mode de rémunération à l’acte n’aide pas) et les médecins sont rarement accompagnés dans leur clinique par une infirmière, un kinésiologue et une nutritionniste, sauf dans quelques GMF. Ces professionnels sont pourtant essentiels pour aider les patients à passer à l’action suite aux recommandations du médecin. Ces professionnels devraient être présents et accessibles gratuitement dans les cliniques et les hôpitaux.

Évidemment ces salaires ont un coût mais il faut le comparer aux coûts actuels liés au tabagisme, à la sédentarité et à la mauvaise alimentation.

Selon un rapport récent de l’INSPQ,(1) les coûts reliés à l’obésité seraient de l’ordre de 1.5 milliards $ par an.

Au Québec, selon un estimé récent, le coût total (public et privé) des dépenses en médicaments est d’environ 8 milliards $(2). Si on regarde maintenant uniquement les coûts des médicaments pour traiter des conditions directement reliées aux habitudes de vie, on constate que ces médicaments accaparent environ 25 % du coût total des médicaments au Québec. Voici les détails(3) :

Les médicaments pour traiter l’hypertension artérielle occupent la 1re place dans la liste des coûts et représentent à eux seuls environ 10 % du coût total des médicaments, le traitement du « cholestérol élevé » arrive en deuxième avec environ 7 % des dépenses. Les médicaments pour traiter les maladies respiratoires comptent pour environ 6 %, le diabète de type 2 arrive plus loin derrière avec approximativement 3.3 % des coûts. On pourrait évidemment ajouter le coût très élevé des anticancéreux pour traiter des cancers liés au tabagisme, mais il est difficile de les retrouver dans les statistiques, je ne tenterai pas d’en faire un estimé. On peut donc évaluer, de façon assez conservatrice, à 25 % soit environ 2 milliards $ (25 % de 8 milliards $), les sommes consacrées pour les médicaments utilisés pour traiter des conditions directement reliées aux habitudes de vie. On peut imaginer l’ampleur des dépenses (et des économies potentielles) si on
ajoute les coûts d’hospitalisation, la rémunération des médecins, etc. ainsi que les coûts indirects (perte de productivité).

Évidemment, l’amélioration des habitudes de vie ne réduirait pas la facture de 100 % mais on peut penser que 10 à 20 % d’économie à moyen terme serait réaliste. Plusieurs économistes ont déjà fait ce genre d’estimés.

Les dépenses de santé représentent près de 50 % des dépenses de l’État. Personne ne souhaite que ce pourcentage grimpe vers 60 à 70 %(4) puisqu’il ne restera pas grand-chose pour les autres missions essentielles de l’État.

Avec le dernier remaniement ministériel, la ministre Charlebois est maintenant la ministre déléguée à la réadaptation, à la protection de la jeunesse, à la santé publique et aux saines habitudes de vie. C’est une bonne nouvelle mais le financement devra suivre pour vraiment intégrer la prévention au système de soins. On pourra alors certainement diminuer le fardeau financier dû aux maladies chroniques : coûts directs (soins médicaux, médicaments, etc.) et indirects (pertes de revenus d’emploi, productivité, absentéisme, etc.) en plus de diminuer l’incidence de maladies « évitables ».

Finalement, au-delà des soins et de la prévention, il ne faut oublier les déterminants de la santé (pauvreté, faible scolarisation, inégalités sociales, chômage, etc.) qui sont encore plus importants pour l’état de la santé des populations et donc des coûts.

(1) Les conséquences économiques associées à l’obésité et à l’embonpoint au Québec : les coûts liés à l’hospitalisation et aux consultations médicales. INSPQ, 2015.
(2) National Health Expenditures Database, 1975-2015. Canadian Institute for Health Information.
(3) The Canadian Rx Atlas. Third Edition. December 2013. UBC Centre for Health and Policy Research.
(4) Les dépenses en santé du gouvernement du Québec, 2013-2030 : projections et déterminants. Cirano, Décembre 2013.

Martin Juneau, MD, MPs, FRCPC, cardiologue
Directeur de la Prévention
Institut de Cardiologie de Montréal